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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE PATRIMOINE BÂTI LIÉ AUX RIVIÈRES OURCE ET AUBE.

  • Dossier IA00141445 réalisé en 2016 revu en 2017
  • Auteur(s) : Baptiste Quost
moulin © Région Grand Est - Inventaire général

Description

Approche collective des sites et constructions inventoriées dans le cadre de l'inventaire thématique du patrimoine bâti lié à l'eau.

Le corpus de sites qui a été rassemblé pour cette étude permet, outre l'approche monographique et de détail consignée dans chaque dossier individuel, d'établir des considérations générales sur le bâti lié aux cours d'eau du territoire. Elles sont rassemblées ici sous forme de questions thématiques, qu'un inventaire plus détaillé ou élargi aux autres vallées du Parc national de forêts permettrait de préciser.

Concernant la chronologie d'occupation des sites et l'évolution de leur(s) usage(s).

La difficulté d'une datation fine
À l’image de la majorité de l’architecture domestique du territoire, le bâti lié aux cours d’eau présente globalement une architecture aux formes simples. Les éléments susceptibles de constituer des marqueurs typo-chronologiques précis et fiables sont assez rares en façade. Le seul examen des maçonneries est insuffisant pour dater un édifice : même si les beaux appareils de pierre, comme celui du mur pignon du moulin de l’abbaye d’Auberive (13e siècle), encouragent parfois une datation ancienne… c’est loin d’être systématique et la disponibilité d’un matériau calcaire assez tendre a facilité la réalisation de maçonneries soignées et puissantes à toutes les époques : en particulier au voisinage des roues pour les moulins (Thoires, Aulnoy-sur-Aube par exemple), ou pour la structure de certains hauts-fourneaux (traitement quasi-stéréotomique à Froidvent ou Gurgy-la-Ville par exemple). Les encadrements des baies sont rarement très caractéristiques, sauf pour les forges de Froidvent ou le moulin de l’abbaye d’Auberive déjà cités par exemple, qui présentent des arcs plein-cintre aiguillant la datation (respectivement 16/17e siècle et 13e siècle).
Des détails d’architecture rapportés sur les façades (lambrequins de la toiture du moulin du château de Rouvres-sur-Aube par exemple) ou des aménagements intérieurs (cheminée du logement d’ouvriers de la forge d’Auberive par exemple) peuvent combler ces difficultés de datation inhérentes à cette architecture simple et « sévère », en fournissant des éléments de modénature plus caractéristiques.
Les dates portées, elles, sont très rares : seul le moulin de la courroierie (Leuglay) et le logement d’ouvriers du site de la Thuillière (Auberive) en ont livré, gravées dans un linteau. La datation est généralement facilitée par le recours aux sources et travaux historiques. Les premiers éléments discriminants ont été la carte de Cassini et les plans cadastraux dits napoléoniens. Ces documents, diversement précis compte-tenu de leur vocation initiale, constituent des terminus bien utiles au tournant des 18e et 19e siècles, époque de grande vitalité des activités métallurgiques. Les inventaires et synthèses listés dans le dossier de présentation de l’aire d’étude ont facilité l’accès aux sources historiques qui ont, de manière générale, été peu directement sondées lors de cette enquête.
Caractérisation de l'usage
Outre la datation, la caractérisation de l’usage des sites est un autre enjeu d’importance. Pour les activités métallurgiques, la spécialisation des bâtiments simplifie la tâche de même que leurs caractères architecturaux récurrents d’un site à l’autre : haut-fourneau, ateliers de fabrication, halle, logements d’ouvriers restent des constructions assez facilement individualisables (cf. infra), en particulier dans des usines métallurgiques comme celles de Colmier-le-Bas, de Montmoyen, de la Thuillière (Auberive), d’Auberive (forge du bourg) ou encore d’Aubepierre-sur-Aube.
Pour les moulins, la tâche est moins évidente. Certains sites peuvent assurément être considérés comme bien conservés, comme les moulins de Saint-Broing-les-Moines, Crépan (Prusly-sur-Ource), Dancevoir (dit Meusy), Ligneroles, Voulaines-les-Templiers (dit Seroin) ou encore Gurgy-le-Château ou des couples roues/meules sont encore en place. Faute d’indices supplémentaires permettant d’identifier le processus de fabrication, c’est l’appellation générique de « moulin » qui prévaut pour distinguer leur vocation initiale ; mais certaines sources historiques détaillent leur vocation de production de farine (moulin Seroin à Leuglay), de même, plus rarement, que la découverte sur place de sacs marqués du nom de l’exploitant (moulin de Saint-Broing-les-Moines).
L'évolution des sites
Les sites du corpus témoignent d’une évolution de leur usage, et par là-même des mutations importantes qui ont pu toucher le territoire. Nombreux sont les sites de production métallurgique dont on constate la réaffectation (voire la désaffectation) au cours du 19e siècle et jusqu’au début du 20e siècle, à mesure que cette activité périclite ici au profit du nord de la France. Les sources écrites, mais aussi les cartes postales anciennes, illustrent ainsi la reconversion de la Forge d’Aubepierre-sur-Aube en scierie/parqueterie ou encore de la forge du bourg d’Auberive en centre d’accueils de jeunes. Les « simples » moulins ne sont pas en reste : celui de Gurgy-le-Château, par exemple, exploite la force du cours d’eau au profit d’une scierie dont l’équipement, entretenu, est conservé.
Le corpus étudié lors de cet inventaire thématique révèle une abondante matière architecturale : les sites sont nombreux et, pour certains, remarquablement conservés. Cela dit, l’absence de caractères architecturaux très caractéristiques tend probablement à simplifier la compréhension de leur chronologie d’occupation. Ainsi, hormis le moulin de l’abbaye d’Auberive daté en partie du Moyen Âge central (13e siècle), les sites rencontrés semblent se concentrer pour l’essentiel entre les 18e et 19e siècles. Mais certains sites (forges de Froidvent, moulin de la Courroierie de Leuglay, moulin de Rouvres-sur-Aube, etc.) mériteraient assurément une analyse architecturale et historique plus approfondie afin d’affiner leurs dates de construction et leur occupation.

CONCERNANT L’IMPLANTATION DES SITES DANS LES DEUX VALLÉES ÉTUDIÉES

Une grande homogénéité dans la répartition
Les vallées de l’Ource et de l’Aube semblent toutes deux assez similaires pour ce qui est de l’implantation des bâtiments et ouvrages liés aux cours d’eau : même si des opportunités foncières, ainsi que la disponibilité des ressources naturelles ou la polarisation engendrée par les bourgs a nécessairement conditionné ce maillage, des constructions jalonnent très régulièrement les rivières sans structuration ni hiérarchisation apparente. On trouve des moulins sur la totalité des linéaires de cours d’eau, de la tête du bassin versant jusque très en aval… et il en va de même des usines métallurgiques, qu’on peut trouver isolées à proximité de la source et au cœur des forêts (Thuillière d’Auberive ou haut fourneau de Gurgy le château par exemple) mais aussi bien plus bas dans les vallées et villages (sites de Rouvres-sur-Aube, Montingy-sur-Aube, Vanvey, etc.).
Si cette répartition homogène des moulins n’étonne guère, très liés qu’ils sont aux activités rurales traditionnelles, l’implantation très rurale et isolée de certaines usines de production métallurgique peut sembler surprenante. Elle témoigne d’une intégration complète de ces activités dans l’espace rural et rappelle que leur fonctionnement, parfois intermittent, composait avec les autres activités prépondérantes des populations de ces campagnes.
Un aménagement complexe et poussé des cours d'eau
Le corollaire de cette répartition régulière des sites (de moulin ou de production métallurgique) le long des rivières est la démultiplication des « connexions anthropiques » aux cours d’eau. Il est frappant de constater, à la simple lecture des cartes anciennes ou actuelles, le nombre de « greffe » directe d’un ouvrage sur un cours d’eau… mais aussi et surtout le nombre de dérivations de cours d’eau – des biefs – qui ont été mises en place au fil des siècles. L’amont est généralement épargné : dans la vallée de l’Ource ces dérivations semblent conséquentes et fréquentes à partir du village de Recey-sur-Ource ; dans la vallée de l’Aube, elles ne deviennent vraiment sensibles qu’à partir d’Aulnoy-sur-Aube. Ces aménagements court-circuitent parfois les cours d'eau sur plusieurs kilomètres (2,6 km au niveau du bourg d’Aubepierre, 2,2 km le long de Dancevoir, 5,5 km entre Vanvey et Maisey-le-Duc). Seule une étude plus approfondie et surtout interdisciplinaire permettrait de préciser le caractère purement anthropique de ces « canaux », ou le réemploi opportuniste de bras secondaires et initialement naturels de la rivière. Quoi qu’il en soit, les cours d’eau apparaissent jalonnés de nombreux ouvrages permettant la régulation des débits : vannage à l’endroit de la prise d’eau, déversoirs, sous-bief en parallèle d’un bief principal…
Il est également intéressant de constater les caractères particuliers qu’un même cours d’eau peut avoir à différents endroits de son cours : à Montmoyen, par exemple, le ruisseau de Villarnon quitte la forêt pour alimenter l’étang puis les biefs de la forge ; quelques dizaines de mètres en aval, le cours d’eau prend la forme d’un canal rectiligne au cœur du parc du château, qu’il quitte pour alimenter un moulin au cœur du village… avant de retourner méandrer dans les prairies de la vallée de la Digeanne (puis de l’Ource). Le village de Vanvey présente les mêmes variations : entre la forge et le moulin situés à l’amont du bourg, le lavoir et la promenade du centre du village, puis à nouveau un moulin et haut fourneau. Ces usages variés, intéressants d’un point de vue paysager et patrimonial mais aussi pour ce qu’ils disent de la diversité des activités liées à l’eau, sont aussi sources de conflits d’usages. Les sondages réalisés dans plusieurs dépôts d’archives (série O) révèlent les tensions qui peuvent naître de prises d’eau importantes ou soudaines, le long d’un linéaire qui profite à plusieurs activités. Enfin, ce constat révèle aussi la limite d’un inventaire qui s’est cantonné aux moulins et usines métallurgiques. Ce faisant, d’autres ouvrages comme les lavoirs ou les dispositifs de prise d’eau liés à l’irrigation, ainsi que les tanneries, pourtant très prégnants parmi les activités villageoises, ne sont pas considérés.

CONCERNANT LE PATRIMOINE BÂTI

La construction proprement dite
L’architecture des bâtiments et ouvrages liés aux cours d’eau n’est pas particulièrement différente de l’architecture domestique ou agricole du territoire. Elle répond aux mêmes principes, qu’il s’agisse des matériaux ou de leur mise en œuvre… et revêt souvent le même caractère simple et assez sévère. Ainsi l’usage du calcaire, majoritairement dégrossi en moellons ou, pour certains édifices ou parties d’édifices, en pierre de taille est quasi-systématique. Les constructions les plus tardives, notamment dans les sites de production métallurgique, associent parfois la brique au calcaire pour l’élaboration des baies par exemple. L’usage du béton, sous forme de parpaing, est tardif et concerne des sites ayant connu des reconversions successives aboutissant à une continuité d’occupation étendue (ateliers de fabrication de la forge d’Aubepierre-sur-Aube). Le soin porté à la réalisation de certains ouvrages retient l’attention : les hauts-fourneaux, notamment, dont les maçonneries nécessairement puissantes sont parfois en bel appareil de pierres de taille (Gurgy-la-Ville, Leuglay).
Le recours au pan de bois est identifié à plusieurs reprises : dans les sites de moulin, il constitue parfois la structure qui couvre le bief à la verticale des roues : les moulins de Lignerolles et Brion-sur-Ource (restauré dans ce 2e cas) en conservent des exemples ; ce dut aussi être le cas au moulin de la courroierie (Leuglay) même si le pan de bois a depuis été remplacé par des maçonneries.
Les couvertures sont généralement réalisées en tuiles plates ou métalliques, sur charpente en bois. Les ouvrages les plus tardifs peuvent user de charpentes métalliques (moulin de Belan-sur-Ource).
La cohérence d'ensemble des sites étudiés
L’objet de cet inventaire était non seulement de distinguer les sites bâtis revêtant un intérêt patrimonial, mais aussi de mettre en lumière les aménagements paysagers associés – souvent négligés – pouvant être partie prenante de cet intérêt. A ces deux égards le corpus rassemblé est très riche, qu’il s’agisse de sites « inédits » ou d’une repasse sur des inventaires existants. Parmi les sites de moulins, on compte plusieurs exemples où le bâtiment lui-même est encore environné d’une retenue, de vannages disposés pour la prise d’eau, d’un déversoir de superficie, etc. (moulins de la Courroierie (Leuglay), d’Essarois, de Gurgy-le-Château, etc.). La lecture d’ensemble que permettent ces sites est remarquable.
Parmi les usines de production métallurgique, certains sites apparaissent aujourd’hui fortement tronqués par rapport à leur configuration initiale (forge de Montmoyen, haut-fourneau d’Essarois par exemple). D’autres offrent en revanche une cohérence d’ensemble tout à fait remarquable, en abritant encore sur un même site des bâtiments de production, d’habitation, des aménagements périphériques, etc. Le haut-fourneau de la Thuillière (Auberive), la forge d’Auberive, la forge de Colmier-le-Bas, ou les forges de Froidvent réunissent encore sur un même site un haut-fourneau, des logements d’ouvriers voire de contremaître, un ou des ateliers de fabrication. En cela, ils illustrent de manière exemplaire les cadres de vie et de travail d’une population ouvrière aux 18e et 19e siècle au cœur d’un territoire rural. Là aussi, une étude plus poussée et enrichie par l’examen comparé des sites de la vallée voisine de l’Aujon ou de la Seine, serait intéressante.

Informations complémentaires

Thématiques :
  • recensement des ouvrages liés à l’eau des vallées de l’Aube et de l’Ource
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