USINE DE CHAUDRONNERIE BOBILLIER PUIS ATELIER D'OUTILLAGE DES FRÈRES BARON PUIS D'ERNEST VOYNNET
25 - Les Gras
Les Saules - Saules - 8-10 rue les Saules
- Dossier IA25001654 réalisé en 2016 revu en 2017
- Auteur(s) : Laurent Poupard
Historique
Le bâtiment est construit en 1809 (date portée sur un linteau avec des armoiries et les initiales PEB et MSR) pour Philippe Emmanuel Bobillier (vers 1763-1834) et sa femme Marie Scholastique Roland.
Dit "fabricant de cuivre", Bobillier, qui sera maire des Gras en 1823, est à la tête de deux établissements dont il demande en 1812 l'autorisation de maintien : "deux martinets à forger le cuivre", situés sur un petit ruisseau "sujet aux sécheresses et gelées", composés de "chacun un arbre à trois marteaux et un pour les soufflets ; de chacun trois feux servant à fondre et chauffer lesdits cuivres, avec une roue pour une meule servant à l’usage des marteaux [...] en observant qu'on ne peut faire rouler ensemble qu'un seul marteau et un seul feu par chaque forge". Sa fabrication annuelle est de 200 quintaux de cuivre "en bassins, tuyères de forges, planches, coupes, et barreaux de toutes espèces et toutes dimensions". Le cuivre est acquis dans les départements voisins - Doubs, Haute-Saône, Haut-Rhin, Jura et Côte-d'Or - et en Suisse ; les produits sont écoulés dans les mêmes lieux ; les 400 stères de bois de sapin consommés proviennent du canton de Morteau et de Suisse. Sur le plan cadastral de 1816, l'usine amont se compose, outre le bassin de retenue (cadastré A 51), de deux bâtiments : la forge (A 49) et un entrepôt à charbon (A 50, remplacé par une maison vers 1835 ?) ; l'usine aval (actuelle scierie Garnache) est, elle, formée d'un bassin de retenue (A 44) et d'un bâtiment (maison et forge A 42). En 1823, l'affaire comporte trois martinets, un laminoir, un four à réverbère, un atelier de pompe de maréchalerie et de serrurerie mécanique, et elle fabrique tuyères, fonds de chaudières, coupes pour chaudron, casseroles, seilles, bassinoires, alambics, lames de scie, etc., dont un quart est expédié en Suisse et en Savoie. Cette production est détaillée : avec une consommation de 100 000 kg de cuivre et un déchet de 2,5 %, l'usine peut fournir annuellement pour 97 500 kg de produits soit 9 500 kg de bassins à puiser l'eau, 12 000 kg de tuyère (100 douzaines à 10 kg pièce), 16 000 kg "de coupes, de chaudrons, de bassinoires, de casseroles, de seilles, de chaudières jusqu'à la grandeur de 39 à 40 pouces de diamètre, d'alambics, de barreau pour fer à souder, de fonds et planches bombées pour grandes chaudières de brasserie et autres" et 60 000 kg de planches laminées. Elle occupe 54 personnes, dont une partie à domicile : "25 ouvriers finisseurs de bassins, 8 ouvriers martineurs, chauffeurs et manoeuvres, 16 ouvriers lamineurs et manoeuvres, 1 maréchal taillandier pour l'entretien des outils, 2 charpentiers et menuisiers pour réparations et modèles, 2 bûcherons et charbonniers". En 1828, cette fabrique travaille 90 t de cuivre et elle dégage, avec neuf ouvriers, un chiffre d'affaire de 34 920 F.
Elle est reprise par les enfants de Philippe Emmanuel, notamment Pierre (1794-1834) qui est mentionné l'année de son décès, en 1834, alors qu'elle emploie 25 ouvriers à la production de pompes à incendie (un autre fils, Philippe, acquiert en 1835 la chaudronnerie de Port-Lesney, dans le Jura). Cette année-là, une notice est rédigée sur elle à l'occasion d'une exposition. Il y est dit qu'utilisant un cours d'eau à sec six mois par an, elle se compose d' "1 fourneau pour fondre le cuivre ; 1 forge avec 3 jeux de martinets pour étendre et emboutir les grosses pièces ; 1 laminoir mû par 2 roues pour étendre les feuilles de cuivre, les lames de scie ; 1 forge pour étendre et emboutir les petites pièces ; 1 atelier de pompe de maréchallerie et de serrurerie mécanique avec 2 tours tournant à l'eau ; 1 four à réverbère pour la fonte des grosses pièces". Elle consomme chaque année 20 à 25 t de cuivre rouge (de Russie et des mines de Saint-Bel et Chessy, dans le Rhône), 20 t de cuivre jaune (de Paris) et 3 t de fer (du département). Ses ouvriers travaillent en atelier (15 à 18) et à l'extérieur (20), ces derniers finissant les bassines. Outre les lames de scie "vendues aux scieries du pays", la production consiste en "tuyères, fonds de chaudières, coupes pour chaudron, casseroles, seilles, bassinoires, alambic, chaudière à fromage, à lessive... vendus aux chaudronneries du département, des départements voisins et de Suisse". A Pierre Bobillier succède Cyprien Girard (1799-1883), dit "martineur" aux Saules en 1830 puis maître d'usine en 1842, copropriétaire des sites avec deux Mortuaciens : François Alexis Singier, directeur des postes, notaire et maire de Morteau, et Ravier, docteur en médecine. Un "hangar" et un laminoir sont bâtis sur le site aval toutefois l'établissement, exploité par Grangier, ferme dans la deuxième moitié de la décennie 1840. Les deux sites sont déclarés en ruine, avec ce commentaire en 1852 (faisant état de la situation en 1847) : "une partie des ateliers a été incendiée et n'a pas été rétablie ; le surplus est demeuré au chômage". Quelques années plus tard, Girard est signalé comme fabricant de "porte-lanternes, tours aux vis, pinces forgées, outils à trous acier et bronze, tours lapidaire", etc. Le site aval est repris vers 1855 par le chaudronnier Jean-Baptiste Roussel-Galle (dont le fils Alfred dirigera l'établissement de Port-Lesney), qui remplace hangar et laminoir par un martinet (lui-même démoli en 1887) ; il abritera un temps, au tournant des 19e et 20e siècles, l'atelier d'Emile Py (le père d'Henri) et actuellement la scierie Garnache (qui n'a pas conservé de bâtisse ancienne).
Le bâtiment principal du site amont est réparé (reconstruit ?) lorsqu'il passe au milieu des années 1850 aux frères Baron : Philimin (1821-1907), déclaré négociant et fabricant d'horlogerie, Elie (1824-1886), qui achètera la maison de la taillanderie Bobillier du Dessus de la Fin, et Aubin (1826-1875), déclaré "aubergiste, horloger et négociant" (et dont la veuve et les enfants s'installeront aux 8-10 rue de l'Helvétie). Le premier en devient seul propriétaire, puis son fils Emile dit Elie (1870-?), fabricant de pinces à morille. Ce dernier le cède vers 1903 à Ernest Voynnet (Emile Ernest, 1863-1940), qui installe au rez-de-chaussée son atelier de fabrication de tournevis pour horlogers. Il dispose notamment d'une machine à canneler les manches en laiton actionnée par la turbine hydraulique. Son papier à en-tête porte d'ailleurs : "Fabrique d'outils d'horlogerie en tous genres par procédés automatiques et mécaniques" et "Usine hydraulique", avec une marque déposée formée d'une étoile à cinq branches percée d'une flèche pointe à gauche. Voynnet fait rapidement construire sa maison au sud (au n° 8) et y transfère les petites machines, dans un atelier à l'étage. Il associe, sous l'appellation Ernest Voynnet et Fils, son fils René (1900-1986) à l'affaire, que ce dernier reprend ensuite. Dit tourneur sur métaux, gendre du négociant en outillage Léon André (établi au 3 rue de Pontarlier), René travaille en famille avec sa femme Germaine et sa fille Nelly (mariée par la suite avec André Bonnet, à la tête d'une fonderie au 22 Grande Rue). Une épicerie est alors aussi attestée sur le site. L'atelier ferme dans les années 1960 ou 1970. L'ancienne usine a été convertie en immeuble et la maison n'abrite plus d'activité productive.
- 1er quart 19e siècle
- 1er quart 20e siècle
Description
Le bâtiment de la chaudronnerie a un mur en pierres de taille apparentes (au sud), dont le pignon est protégé par un essentage métallique ; les autres murs sont en moellons calcaires enduits, avec essentage de planches à l'étage carré du gouttereau ouest (façade antérieure). Il comporte un sous-sol complet (partiellement voûté d'arêtes et desservi par un escalier droit et un escalier tournant en pierres), un rez-de-chaussée surélevé et un étage carré (accessibles par un escalier extérieur droit partie en béton, partie métallique), et un étage en surcroît. Une fenêtre horlogère et une fenêtre multiple (à trois baies) sont visibles dans le pignon sud (étage en surcroît). La couverture est en tuiles mécaniques, sur un toit à longs pans et demi-croupes, celui de la maison voisine étant lui à pignons couverts. Cette dernière a des murs en moellons calcaires enduits, un étage carré et un étage en surcroît, desservis par un escalier dans-oeuvre et (au nord) par un escalier extérieur récent en métal. Les baies des étages, en béton, sont coiffées d'un linteau en arc segmentaire.
- tuile mécanique
- sous-sol
- rez-de-chaussée surélevé
- 1 étage carré
- étage en surcroît
- voûte d'arêtes
- élévation à travées
- escalier dans-oeuvre, escalier tournant, en maçonnerie
- escalier dans-oeuvre, escalier droit, en maçonnerie
- escalier de distribution extérieur, escalier droit, en maçonnerie en charpente métallique
- baie horlogère
- baie multiple
- sculpture
- énergie hydraulique produite sur place turbine hydraulique
Source(s) documentaire(s)
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3 P 298 Cadastre de la commune des Gras, 1814-1967
3 P 298 Cadastre de la commune des Gras, 1814-1967
- 3 P 298 : Atlas parcellaire (11 feuilles), dessin (plume, lavis), par les géomètres du cadastre Vergne et Garcin, 1816
- 3 P 298/1 : Registre des états de sections (1816-1818)
- 3 P 298/2, 5 : Matrice cadastrale des propriétés bâties et non bâties, 1822-1875
- 3 P 298/3-4 : Matrice cadastrale des propriétés bâties et non bâties, 1876-1914
- 3 P 298/6 : Matrice cadastrale des propriétés bâties, 1882-1910
- 3 P 298/7 : Matrice cadastrale des propriétés non bâties, 1914-1967
- 3 P 298/8 : Matrice cadastrale des propriétés bâties, 1911-1967Lieu de conservation : Archives départementales du Doubs, Besançon - Cote du document : 3 P 298 -
307 O 13 Administration communale. Les Gras. Affaires diverses (1812-1931)
307 O 13 Administration communale. Les Gras. Affaires diverses (1812-1931)Lieu de conservation : Archives départementales du Doubs, Besançon - Cote du document : 307 O 13 -
Notice sur les fabriques de la commune des Gras, pour être adressée à monsieur le sous-préfet de Pontarlier en exécution de sa lettre du 17 mars 1823, dressé sur les renseignements qui lui ont été produits par les fabricans, par Garnache, le 9 avril 1823
Notice sur les fabriques de la commune des Gras, pour être adressée à monsieur le sous-préfet de Pontarlier en exécution de sa lettre du 17 mars 1823, dressé sur les renseignements qui lui ont été produits par les fabricans, par Garnache, le 9 avril 1823. Photocopie d'un document conservé aux Archives départementales du DoubsLieu de conservation : Collection particulière : Louis Girard, Grand’Combe-Châteleu -
Statistique de l'utilisation de la force motrice des eaux, 1851
Statistique de l'utilisation de la force motrice des eaux. In Annuaire départemental du Doubs pour 1852, 40e année, 1851, p. 103-158. -
Artisans des Gras. Fabricants d’outils d’horlogerie. 1855-1862, 20e siècle
Artisans des Gras. Fabricants d’outils d’horlogerie. 1855-1862. - S.d. [20e siècle]. 6 f. Liste manuscrite établie "d'après un livre de compte semblant appartenir à Cressier Philippe, fondeur au Dessus de la Fin" et complétée par les noms d'artisans et négociants de Grand'Combe-Châteleu et de la Suisse proche.Lieu de conservation : Collection particulière : Elisabeth Bonnet, Les Gras
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Guichard, Jean-Marie. Recherches généalogiques
Guichard, Jean-Marie. Recherches généalogiques. Accessibles en ligne sur le site de Geneanet : http://gw.geneanet.org/
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Courtieu, Jean (dir.). Dictionnaire des communes du département du Doubs, 1982-1987.
Courtieu, Jean (dir.). Dictionnaire des communes du département du Doubs. - Besançon : Cêtre, 1982-1987. 6 t., 3566 p. : ill. ; 24 cm. -
Garneret, Jean ; Bourgin, Pierre ; Guillaume, Bernard. La Maison du montagnon, 1980
Garneret, Jean ; Bourgin, Pierre ; Guillaume, Bernard. La Maison du montagnon. - Besançon : Folklore comtois, 1980. 4-558 p. : ill. ; 30 cm. (Les maisons paysannes en Franche-Comté ; 1) -
Laithier, René. Fabricants d’outils pour horlogers bijoutiers de la commune des Gras. Les artisans de la fin du 19e à la fin du 20e siècle, 1990
Laithier, René. Fabricants d’outils pour horlogers bijoutiers de la commune des Gras. Les artisans de la fin du 19e à la fin du 20e siècle. - 1990. 4 f. dactyl. Porte la mention : "Liste non exhaustive établie en 1990, par René Laithier, les Epaisses, Les Gras".Lieu de conservation : Collection particulière : Rémy Cerf, Les Gras -
Vegliante, Gianfranca. L’artisanat dans le canton de Morteau au XIXe siècle, 1976
Vegliante, Gianfranca. L’artisanat dans le canton de Morteau au 19e siècle. – Besançon : Faculté des Lettres, 1976. 164 f. dactyl. ; 30 cm. Mém. Maîtrise : Histoire : Besançon : 1976. -
Vuillet, Bernard. La vie dans le val de Morteau entre 1750 et 1800, 1975
Vuillet, Bernard. La vie dans le val de Morteau entre 1750 et 1800. - [S.l.] : [s.n.], 1975. 2 vol. (421 p.) : ill. ; 30 cm. Th. : Paris, Ecole des Chartes, 1975. -
Vuillet, Bernard. Le val de Morteau et les Brenets en 1900, 1978
Vuillet, Bernard. Le val de Morteau et les Brenets en 1900, d'après la collection de cartes postales de Georges Caille. - Les Gras : B. Vuillet, Villers-le-Lac : G. Caille, 1978. 294 p. : cartes postales ; 31 cm.
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Bonnet Nelly (témoignage oral)
Bonnet Nelly, épouse d'André Bonnet et fille de René Voynnet. Les Gras -
Tisserand Roger (témoignage oral)
Tisserand Roger, fils d'Arsène Tisserand, ancien agriculteur. Les Gras -
Vernot Nicolas (témoignage oral)
Vernot Nicolas, président de l'ARCHEE (Association de Recherche Comtoise en Héraldique, Epigraphie et Emblématique).
À voir
Informations complémentaires
Texte extrait d'un mél de Nicolas Vernot, 11 avril 2017.
Je vous confirme qu’il s’agit bien d’armoiries. Ce qui est remarquable, c’est qu’en 1809, nous sommes sous le premier Empire et que seules les armoiries concédées par Napoléon 1er sont légales et autorisées (la Révolution avait supprimé l’usage des armoiries, et l’empereur n’avait restauré que très partiellement ce droit). Ce type d’armoiries illégales est rarissime.
Sous l’Ancien régime, on connaît les armes de Gabriel-Théodule Bobillier, de Clerval, prêtre, dont le cachet montre en 1773 une aigle bicéphale éployée, figure sans doute trop connotée pour être utilisée sous le 1er Empire (à supposer que le prêtre et Philippe Emmanuel Bobillier soient parents, ce que j’ignore).
Autant que je puisse en juger malgré l’usure de la pierre, les armes présentées ici peuvent se blasonner ainsi : "une bille de bois couchée et soutenue d’une terrasse, à l’arbre accolé d’un lierre brochant". On a probablement des armoiries parlantes, c’est à dire évoquant phonétiquement le nom du patronyme (sans considération étymologique) : "Beau bille (y est)" = Bobillier. Le lierre étant symbole d’attachement, il pourrait s’agir d’évoquer l’union entre Philippe Emmanuel et son épouse, dont les initiales figurent à droite de la composition.
Il serait intéressant de voir si cet écu n’a pas été utilisé comme marque commerciale sur du papier à en-tête, formule qui expliquerait l’infraction par rapport au droit héraldique impériale : il s’agirait alors d’une marque commerciale et non de véritables "armoiries"...
N. Vernot est docteur en Histoire (EPHE), lauréat 2015 du prix solennel de la Chancellerie des Universités de Paris Aguirre-Basualdo spécialisé en Lettres et Sciences humaines, membre permanent du laboratoire de recherche AGORA EA 7392 de l’Université de Cergy-Pontoise, secrétaire général de l'Académie internationale d'Héraldique, président de l'ARCHEE (Association de Recherche Comtoise en Héraldique, Epigraphie et Emblématique).
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