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INFIRMERIE ET MAISON DE L'INFIRMIER DE L'ABBAYE SAINT-OYEND, DEVENUE ÉVÊCHÉ PUIS SOUS-PRÉFECTURE

39 - Saint-Claude

2 rue de la Sous-préfecture

  • Dossier IA39000774 réalisé en 2001 revu en 2020
  • Auteur(s) : Bernard Pontefract, Sébastien Bully, Aurélia Bully, Laurent Poupard
Façade sur rue. © Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine

Historique


L'édifice fut successivement infirmerie à partir du 5e siècle, maison canoniale au 18e siècle, filature de coton de 1791 à 1824, évêché de 1824 à 1907, date à laquelle s'installe la sous-préfecture.
A l'origine, il constitue l'infirmerie de l'abbaye de Saint-Claude. Fondée vers 430-435 par les moines Romain et Lupicin, cette abbaye se développe considérablement vers 1160, suite à la découverte du corps de saint Claude, abbé de la fin du 7e siècle, et de nombreux bâtiments sont édifiés autour de l'église abbatiale des Trois Apôtres. La maison de l'infirmier, attestée dès le 5e siècle par les écrits d'un moine anonyme (la "Vie des pères du Jura") datés du 6e siècle, est l'un des rares qui subsistent. Elle témoigne d'une fonction souvent méconnue : au sein du monastère, les moines souffrants y sont soignés, par un religieux dit officier infirmier, et la plupart des moines moribonds y achèvent leur vie.
En 1435, les comptes de la fabrique de l'abbatiale des Trois Apôtres citent un "cloître des infirmeries", dont on n'a pas retrouvé trace, et un "conduit hydraulique", subsistant, qui témoigne de l'utilisation de l'eau pour les soins aux malades et la préparation des repas. Sont aussi conservés de cette période (fin 15e siècle-début 16e siècle), au 1er étage de soubassement, une grande salle et un petit couloir voûtés. Les sources du 17e siècle mentionnent en 1629 une chapelle Saint-Sébastien, dont subsistent peut-être des vestiges dans le jardin, et en 1631 une étable et des réparations au bâtiment. L'incendie de la ville en 1639, qui affecte partiellement l'abbaye, le touche probablement et on peut supposer que son agrandissement (construction d'une aile) a été réalisé à cette occasion. L'édifice est fortement modifié voire reconstruit avant 1699, certainement par l'infirmier Jean François de Marnix dont les armoiries sont visibles sur le corps le plus récent (actuelle sous-préfecture). A cette époque, en 1695, la construction d'un nouvel hôpital au bord du Tacon, hors de la clôture monastique, entraîne le regroupement près de l'infirmerie de l'ensemble des bâtiments à fonction médicale du monastère et de ses dépendances.
Lorsqu'à la création de l'évêché de Saint-Claude en 1742, l'abbaye est sécularisée, la maison de l'infirmier devient maison canoniale, attribuée à un chanoine du chapitre de la nouvelle cathédrale. Vendue comme bien national en 1791, elle est acquise par Claude François Dumoulin (1756-1815), fils d'un marchand venu vers 1740 de Saint-Jean d'Aulps (Haute-Savoie). Dumoulin y installe une filature de coton, dotée d'une quinzaine de métiers à filer, de quelques métiers à bas et d'une carderie (il se rend aussi acquéreur de celle installée en 1780 par l'évêque de Saint-Claude au moulin du Tomachon). Le 19 juin 1799, le grand incendie de la ville détruit en partie le bâtiment, toutefois protégé par la masse de la cathédrale voisine. La filature poursuit son activité jusqu'en 1824.
Le département du Jura achète le site à cette date et le met à disposition de l'évêque (supprimé en 1800, le diocèse de Saint-Claude a été rétabli en 1823). C'est vraisemblablement durant cette période que le bâtiment prend son aspect actuel, avec l'aménagement du hall, d'escaliers et des appartements. En 1905, en application de la loi sur la séparation des Églises et de l'État, l'évêque est expulsé et deux ans plus tard, le site est affecté à la sous-préfecture, alors établie au 38 rue du Pré. Les dernières modifications notables du bâtiment datent de 1936 et, touchant les façades et les toitures, ont quelque peu changé son aspect.
Période(s)
Principale :
  • Moyen Age
  • limite 15e siècle 16e siècle
  • 17e siècle
  • 19e siècle
  • 2e quart 20e siècle

Description


La sous-préfecture est formée d'un corps de bâtiment parallèle à la cathédrale et d'une aile en retour au sud (côté vallée). Bâtie en moellons calcaires enduits, elle est couverte par un toit métallique à longs pans, avec demi-croupes sur le premier corps et croupe au sud sur le second. Inscrite dans la pente, elle comporte deux ou trois étages de soubassement, un rez-de-chaussée surélevé, un étage carré et un étage en surcroît, desservis par des escaliers dans-oeuvre (dont l'escalier principal, droit, en pierre). L'ancienne salle des infirmeries (au rez-de-chaussée) est voûtée d'arêtes. Le conduit hydraulique servant à la captation d'une source, en étage de soubassement, est voûté en berceau ; il est long de 20,50 m et d'une hauteur généralement supérieure à 2 m. Les jardins sont étagés sur deux niveaux avec au niveau inférieur, accessible par un escalier extérieur droit en pierre, dans le mur nord une abside semi-circulaire voûtée en cul-de-four, vestige éventuel de la chapelle Saint-Sébastien.
Murs :
  • calcaire
  • moellon
  • enduit
Toit :
  • métal en couverture
Etages :
  • étage de soubassement
  • rez-de-chaussée surélevé
  • 1 étage carré
  • étage en surcroît
Couvrement :
  • voûte d'arêtes
  • voûte en berceau
  • cul-de-four
Escalier :
  • escalier dans-oeuvre, escalier droit, en maçonnerie
  • escalier dans-oeuvre, escalier tournant à retours,
  • escalier de distribution extérieur, escalier droit, en maçonnerie

Source(s) documentaire(s)

  • 2 H. Fonds de l'abbaye de Saint-Claude
    Archives départementales du Jura, Montmorot. 2 H. Fonds de l'abbaye de Saint-Claude
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot - Cote du document : 2 H
  • Plan du rez-de-chaussée d'après le projet de réaménagement de l'évêché en sous-préfecture dessiné par l'architecte départemental (André Sire ?) le 1er avril 1907.
    Plan du rez-de-chaussée d'après le projet de réaménagement de l'évêché en sous-préfecture dessiné par l'architecte départemental (André Sire ?) le 1er avril 1907.
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot - Cote du document : série N
  • Plan des moulins de l'abbé et de l'office d'infirmier, 18e siècle : détail du moulin du Tomachon
    Plan des moulins de l'abbé et de l'office d'infirmier, 18e siècle : détail du moulin du Tomachon.
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot - Cote du document : 2 H Pl 64
  • Plan du premier étage d'après le projet de réaménagement de l'évêché en sous-préfecture dessiné par l'architecte départemental (André Sire ?) le 1er avril 1907.
    Plan du premier étage d'après le projet de réaménagement de l'évêché en sous-préfecture dessiné par l'architecte départemental (André Sire ?) le 1er avril 1907.
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot - Cote du document : série N
  • Coupe longitudinale par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville [19e siècle].
    Coupe longitudinale par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville [19e siècle]. Dessin, s.d. [19e siècle] par Dalloz, Joseph-Marie (architecte)
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot
  • Plan du rez-de-chaussée par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville, s.d. [19e siècle].
    Plan du rez-de-chaussée par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville, s.d. [19e siècle].
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot
  • Plan du premier étage par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville, s.d. [19e siècle].
    Plan du premier étage par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville, s.d. [19e siècle]
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot
  • Plan du deuxième étage par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville, s.d. [19e siècle].
    Plan du deuxième étage par Joseph-Marie Dalloz, architecte de la ville, s.d. [19e siècle].
    Lieu de conservation : Archives départementales du Jura, Montmorot
  • Benoît, dom Paul. Histoire de l'Abbaye et de la terre de Saint-Claude, 1890-1892
    Benoît, dom Paul. Histoire de l'Abbaye et de la terre de Saint-Claude. Montreuil-sur-Mer : impr. de la Chartreuse de Notre-Dame-des-Prés, 1890-1892.
  • Bully, Aurélia ; Bully, Sébastien ; Pontefract, Bernard. La sous-préfecture de Saint-Claude, ancienne infirmerie de l'abbaye royale, 2001
    Bully, Aurélia ; Bully, Sébastien ; Pontefract, Bernard. La sous-préfecture de Saint-Claude, ancienne infirmerie de l'abbaye royale / Direction régionale des affaires culturelles de Franche-Comté, Service régional de l'inventaire ; sous la dir. de Marie-Claude Mary ; coord. Laurent Poupard ; avec la collab. de Robert Le Pennec, Laurent Poupard, Christina Rodriguez Galan... [et al.] ; photogr. Yves Sancey ; documentation graph. André Céréza, Stéphane Guyot. - Paris : Erti, [2001]. 24 p. : ill. ; 23 cm. (Itinéraires du Patrimoine ; 245).
  • Davril, dom Anselme ; Palazzo, Eric. La vie des moines au temps des grandes abbayes, 2000
    Davril, dom Anselme ; Palazzo, Eric. La vie des moines au temps des grandes abbayes. Paris : Hachette, 2000. (La vie quotidienne). ISBN 2-01-235450-5
  • Vie des Pères du Jura / François Martine, 1968
    Vie des Pères du Jura / François Martine. Paris : Éd. du Cerf, 1968. (Sources chrétiennes, 142)

Informations complémentaires


La sous-préfecture de Saint-Claude occupe, près de la cathédrale, un bâtiment dont la banalité et l’austérité apparentes masquent une histoire des plus agitées : au cours des trois derniers siècles, il fut successivement maison canoniale, filature de coton puis évêché avant d’abriter, à partir de 1907, le siège du représentant de l’Etat.Bien antérieure, son implantation prend tout son sens à la lecture des dernières investigations archéologiques et historiques : là était située la maison de l’infirmier attaché à l’abbaye royale de Saint-Claude, autrefois si renommée. Oubliée, bien qu’à l’origine de l’hôpital proche, cette fonction a laissé des vestiges depuis peu retrouvés.
Dominée par la masse imposante du chevet de la cathédrale des Trois Apôtres, la sous-préfecture de Saint-Claude cache, derrière sa façade austère, un destin singulier. Elle occupe en effet un bâtiment qui fut successivement maison canoniale au XVIIIe siècle, filature de coton puis évêché au siècle suivant, avant d’abriter, à partir de 1907, le siège du représentant de l’Etat. Son histoire commence en réalité bien avant : maintes fois modifié - voire reconstruit - au cours des siècles, l’édifice est à l’origine l’infirmerie de l’abbaye de Saint-Claude, fondée vers 430-435 par les moines Romain et Lupicin au confluent de la Bienne et du Tacon. Dite royale car bénéficiant dès ses origines de concessions d'ordre temporel par les rois successifs (burgondes tout d'abord, puis carolingiens et capétiens), l’abbaye connaît un développement important à la suite des miracles accompagnant vers 1160 la découverte du corps de saint Claude, abbé de la fin du VIIe siècle. Toutefois, de l’ensemble impressionnant de bâtiments organisés autour de l'église des Trois Apôtres, peu subsistent de nos jours. La maison de l’infirmier est de ceux-là, témoignage d’une fonction importante souvent méconnue.
Des infirmeries…
Au sein du monastère, les moines souffrants reçoivent, dans une infirmerie, des soins dispensés par un religieux élevé à la dignité d’officier infirmier. La plupart des religieux moribonds achèvent leur existence en ces lieux. La “ Vie des Pères du Jura ”, rédigée au début du VIe siècle par un moine anonyme, mentionne dès les origines du monastère au Ve siècle l’existence d’un lieu réservé aux malades. Cependant, nous ne possédons pas de sources médiévales sur le quartier des infirmeries avant l'année 1435. Les comptes de la fabrique de l’abbatiale des Trois Apôtres citent alors un conduit hydraulique et un cloître des infirmeries. Le conduit est préservé dans les sous-sols de la sous-préfecture. La voûte en berceau, assez fruste, est en partie creusée dans la moraine fluvio-glaciaire, à plus de neuf mètres sous le niveau de la rue actuelle, bordant l’immeuble au nord. Ses dimensions ne sont pas négligeables puisque le collecteur mesure 20,50 mètres de longueur pour une hauteur généralement supérieure à deux mètres. Un second conduit, de moindre dimension, se développe sous la galerie principale. Ce sont des installations souterraines déjà anciennes captant une source destinée à l’usage propre de l’infirmerie. La vocation même de ce dernier lieu nécessitait l’utilisation d’eau pour les soins corporels aux malades mais, également, pour la préparation des repas. Le captage des eaux pouvait aussi servir à l’alimentation de viviers ou bien encore de bains qui, s’ils ne sont pas attestés à Saint-Claude, sont généralement associés aux infirmeries. Ici, seul un caniveau est visible, creusé dans des goulottes de pierre semi-circulaires. Bien que l’on ne puisse assurer que le dispositif soit médiéval, il est d’une facture soignée avec un sol de galets de part et d’autre des caniveaux de pierre.La seconde mention des comptes est un cloître. Les infirmeries sont en effet généralement organisées comme un monastère en réduction, avec réfectoire, dortoir, cuisine, chapelle et cloître. En l’absence de documents ou de vestiges architecturaux, il serait trop audacieux de suggérer à Saint-Claude un plan d'infirmerie identique à celui des grandes abbayes bénédictines. Tout au plus noterons-nous que la situation topographique au sein du monastère est similaire. Le quartier des soins est rejeté à l’est de l’établissement, loin de l’entrée, du bruit et de l’agitation du monde.

… à la maison de l’infirmier
Après une longue période lacunaire, les sources d’archives deviennent un peu plus prolixes à partir du XVIIe siècle.En 1628 des réparations sont effectuées sur la muraille du verger de l’infirmerie ainsi que sur la fontaine de la porte de la Pierre, jouxtant la maison de l’infirmier.L’année suivante, quelques officiers de l’abbaye procèdent à la visite du bâtiment et de ses dépendances. L’office d’infirmier est alors vacant en raison du départ inexpliqué de son titulaire Africain de Croysier en 1613. Depuis lors, la fonction est occupée par Gaspard de Pratz, qui détiendra officiellement la charge à partir de 1632. Cette visite nous renseigne sur l’existence d’une chapelle placée sous le vocable de saint Sébastien. Des chambres basses et une galerie se développent au-devant de la chapelle : doit-on voir dans cette galerie le cloître évoqué dans le document comptable de 1435 ? Une abside semi-circulaire, voûtée en cul-de-four et dotée d’une armoire (liturgique ?), est conservée dans les jardins de la sous-préfecture. Il est tentant d’identifier cette construction aux vestiges de la chapelle Saint-Sébastien. La nef, détruite, serait occupée par le jardin potager de la sous-préfecture. Une petite fouille archéologique a démontré qu’un mur de fondation liait la tête d’arc de l’abside selon des techniques constructives habituelles pour ce type d’édifice. La pauvreté du mobilier archéologique et des structures découvertes incite à la prudence en ce qui concerne l’identification et la datation de cette construction. On peut cependant l'estimer de l’époque moderne ou, au plus tôt, de la fin du Moyen Age. Cette datation basse demeure malgré tout en discordance avec le parti architectural d’une abside semi-circulaire voûtée en cul de four.D’autres précisions complètent la description du bâtiment, comme la présence d’une porte ouvrant sur la salle capitulaire proche ou bien encore d’une cheminée dans la grande salle. Des chambres sont mentionnées près du grenier, ce qui suppose un bâtiment à étage. Un escalier et une galerie voisinent un cabinet situé sur la chapelle. On apprend également que des chambres sont construites au-dessus de la cuisine du monastère. Le réfectoire, à cette époque, est en effet mitoyen de la maison de l’infirmier. En 1631, on procède à des réparations de l’infirmerie et de l’étable qui en dépend. Gaspard de Pratz est alors administrateur des revenus de l’infirmier. Son intérêt, lors de la visite, est d’exagérer la vétusté de la construction car il est assuré de prendre la succession d’Africain de Croysier. Depuis la fin du XVe siècle, les maisons des officiers de l’abbaye sont en effet considérées par leurs titulaires comme des biens personnels. Toute modification sur la bâtisse allant dans le sens d’un plus grand confort est donc appréciable pour le futur bénéficiaire de la charge. Gaspard de Pratz engage probablement une partie de ses biens propres dans les travaux de rénovation de l’infirmerie. Le commanditaire signe alors les travaux en faisant figurer ses armoiries sur les murs.En 1639, l’incendie de la ville affecte partiellement l’abbaye et endommage peut-être la maison de l’infirmier. On peut dès lors se demander si ce n’est pas là l’occasion d’un agrandissement du bâtiment qui, d’un plan quadrangulaire, devient une construction en L. Un document de 1699 désigne l’infirmier Jean François de Marnix comme propriétaire d’une vaste maison, bâtie à ses frais et reprise sur ses anciennes fondations, ce qui induit des travaux de grande ampleur. Ses armoiries figurent sur le corps de bâtiment le plus récent, composant l’actuelle sous-préfecture.L’aumônerie et l’hospice des pèlerins qui se trouvaient à proximité de la porterie sont, en 1687, transférés dans l’ancienne salle capitulaire qui jouxtait l’infirmerie. Mais le nouveau local est trop exigu et l'on décide en 1695 de construire un nouvel hôpital au bord du Tacon, hors de la clôture monastique. Tous les bâtiments à fonction médicale du monastère et de ses dépendances sont donc regroupés dans le voisinage de l’infirmerie à la fin du XVIIe siècle.L’analyse du bâtiment actuel nous permet donc de remonter jusqu’au Moyen Age, avec les vestiges bien conservés d’un conduit hydraulique et, peut-être, d’une chapelle. La maison a connu de multiples restaurations qui ne permettent pas de définir le plan ou l’organisation générale des infirmeries médiévales. Une grande salle et un petit couloir au premier sous-sol, voûtés d’arêtes, constituent probablement les seuls vestiges du bâtiment tel qu’il se présentait à la fin du XVe siècle ou au début du XVIe siècle.
Les possessions de l’infirmier
La distribution de menses (parts des biens d’un monastère) est effective à Saint-Claude à la fin du XIVe siècle. Ce partage transforme les charges des religieux en revenus, en argent et en nature. Dès 1294, l’infirmier perçoit une rente sur les dîmes de Cinquétral ; il reçoit ensuite des droits et possessions à Charchilla (1305), sur les secteurs de Vernantois (1400) et Noirecombe (1424). Au XVe siècle, Pierre Morel possède des droits sur le Tacon et la Bienne, rivières actionnant deux moulins, l’un abritant un battoir en 1429. De l’infirmier dépendront encore trois siècles plus tard, ainsi que nous l’apprend un plan de cette époque, trois moulins sur le Tacon dont celui du Tomachon.L’officier bénéficie également du droit de langues : à ce titre, les langues des bovins tués en ville et les filets de cochons lui sont octroyés.Parmi ses revenus figure une annexe du monastère, attestée en 1590 à Cinquétral au lieu-dit le Chastel, destinée à recevoir les religieux convalescents. Au XVIIIe siècle, Léon Aristide de Raincourt possède en outre un vaste domaine au hameau de Noirecombe. Là, aux Portes au Roy de Crochatière, auraient, selon Désiré Monnier, rédacteur au XIXe siècle des Annuaires du Jura, existé des ateliers de teinturiers organisés en corporation. La matière employée pour la teinture était le safran, que l’on cultivait en grand sur le territoire même au lieu-dit la Safranière.
De la maison canoniale…
Lorsqu'à la création de l’évêché de Saint-Claude en 1742, l’abbaye est sécularisée, la maison de l’infirmier devient une maison canoniale, attribuée à un chanoine du chapitre de la nouvelle cathédrale. Elle est vendue comme bien national en 1791 après avoir, en dernier lieu, hébergé M. de Poulmic de Grandisle, vicaire général de 1786 à 1789.
... à la filature
Elle est alors achetée par un industriel de la filature, Claude François Dumoulin (1756-1815), fils d’un marchand venu vers 1740 de Saint-Jean d’Aulps (Haute-Savoie). Dumoulin y installe une filature de coton consistant en une quinzaine de métiers à filer, quelques métiers à bas et une carderie actionnée par la source du sous-sol. Le 1er messidor an 7 (19 juin 1799), le grand incendie de la ville détruit en partie le bâtiment, qui fut toutefois probablement protégé par la masse de la cathédrale voisine. La filature poursuit son activité, en relation avec celle du Tomachon, acquise avant 1809 par Jean Alexis, fils de Claude François Dumoulin. L’épisode industriel se termine en 1824.
De l’évêché…
A cette date, le département du Jura achète la maison. Il la met à disposition de l’évêché, le diocèse de Saint-Claude - supprimé en 1800 - venant d'être rétabli en 1823. L’ancienne demeure de l’infirmier de l’abbaye retourne alors à l’Eglise, devenant la résidence de l’évêque mais restant, selon les termes du concordat, à la charge de l’Etat. C’est vraisemblablement durant cette période que le bâtiment prend pour l’essentiel son aspect actuel : hall, escaliers, aménagement des appartements.
... à la sous-préfecture
En 1905, en application de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, l’évêque est expulsé. La nouvelle affectation du bâtiment est vite trouvée : il abritera la sous-préfecture. Celle-ci occupe alors une maison du XVIIIe siècle, achetée à cet effet à la création du département du Jura, en 1800, et qui existe toujours au 38 rue du Pré, non loin de la mairie.L’affectation à la sous-préfecture a donc lieu en 1907. Un plan de cette époque, attribuable à l’architecte départemental (André Sire ?) et donnant la destination des différentes pièces, permet de noter que, bien qu’ils aient une entrée séparée, le bureau du sous-préfet et celui du conseil d’arrondissement se trouvent intimement mêlés à l’appartement : les hôtes attendent dans le petit salon avant d’être reçus par le sous-préfet. Cet ancien usage a disparu et le sous-préfet a désormais son bureau au rez-de-chaussée, intégralement consacré à l’administration. Finalement, les dernières modification notables du bâtiment datent de 1936 et, touchant les façades et les toitures, ont quelque peu contribué à changer son aspect. Ils forment une conclusion temporaire à l'histoire du site, dont le destin mouvementé permet, néanmoins, que perdure la mémoire de la grande abbaye de Saint-Claude et de son infirmerie.
Le sous-préfet d’arrondissement
Depuis deux cents ans, l’histoire du corps préfectoral dans l’arrondissement de Saint-Claude se nourrit de l’apport des 72 sous-préfets qui se sont succédé depuis le premier d’entre eux, Jean Etienne Baud (1800-1804). Une seule femme a occupé ce poste, de 1997 à 1999 : Franca Dohet. Le sous-préfet d'arrondissement constitue un relais indispensable de la politique de l'Etat, l'intercommunalité ayant renforcé son rôle de coordinateur des actions des collectivités territoriales.L’escalier principal, menant au premier étage, se compose d’une seule volée droite. Au rez-de-chaussée, le départ en est marqué par un pilier carré sur lequel s'appuie une rampe en fer forgé. Il conduit à un palier distribuant les pièces de l’appartement et donnant directement accès au vestibule, à la salle à manger et à la cuisine.
A l'intérieur
La salle à manger
Par son orientation au sud-est, la salle à manger bénéficie d’un bon ensoleillement et ses fenêtres ouvrent largement sur les montagnes entourant la ville.Située face à l'escalier principal, elle présente un parquet de chêne à points-de-Hongrie. Sa cheminée, en brocatelle jaune de Chassal, est l'une des plus monumentales de l’édifice. D'une facture soignée, elle est la seule à posséder une plaque avec décor de balustres et de lauriers. En règle générale, le style des seize cheminées de l’édifice est très sobre et très simple. Nombre d’entre elles ont probablement été installées lorsque l'évêché a effectué des travaux pour transformer le bâtiment en appartement. Celles du rez-de-chaussée ont été détruites dans les années 1970, lors de la rénovation des bureaux. Elles n'étaient vraisemblablement pas en marbre mais en pierre grise du Jura, et dataient probablement de l'époque de l’infirmerie ou de la filature.La salle à manger est également la seule pièce dont les murs sont couverts de lambris de hauteur, d’une grande sobriété. Nous savons qu’en 1907, un crédit est accordé pour l’achat de son mobilier : le pétrin, la table et le buffet-horloge, de style néo-régional, aux panneaux en loupe de noyer, datent peut-être de cette commande.
Le vestibule
Le vestibule fait la transition entre l’escalier et les parties privées de l’appartement. Il se trouve à la jonction entre le petit salon où, à l’origine, chacun attendait d'être reçu par le sous-préfet, et le grand salon, qui est la salle de réception. Il s’agit d’une pièce très sobre, avec un simple lambris d’appui et un parquet de chêne à l’anglaise. Son mur est décoré d’un tableau représentant un sous-bois, signé G. Bianchi et daté 1867.On ne connaît pas l’origine du mobilier de la sous-préfecture. A l’exception de la commode marquetée du vestibule et des meubles de la salle à manger, il s’agit d’œuvres du XIXe siècle. Se distinguent les deux commodes présentées page suivante et la bibliothèque en chêne du grand salon.
Deux exemples de commodes
La commode du grand salon, du XIXe siècle, avec ses pieds avant ornés de pattes griffues en métal, fait pendant à un secrétaire de même facture.La commode du vestibule, de style Louis XV, en marqueterie à incrustations, comporte trois tiroirs. Son plateau est constitué d'une plaque de marbre en brèche dite d’Alep, provenant du Tholonet (Bouches-du-Rhône).
Le petit salon
Le petit salon, connu actuellement sous le nom de salon de musique, est la pièce la plus « raffinée », malgré son plafond moderne. Son parquet Versailles est en chêne mais, comme la plupart des pièces de l’appartement, ses murs ne comportent pas de lambris. La cheminée, en brocatelle mélangée de Chassal, est la plus décorée de toutes celles de l’appartement, avec ses montants à pattes de lion et fortes volutes. Elle daterait des aménagements effectués lors de l’affectation de l’édifice à la sous-préfecture, en 1907. Les plaques au sol sont en pierre de Loulle et leur encadrement en brocatelle mélangée. Deux bouches d’aération de part et d’autre, fermées par des couvercles en laiton, permettent une meilleure circulation de l’air chaud.
Marbres et cheminées
Les cheminées placées dans les pièces importantes sont d’un modèle élaboré et font appel à des marbres renommés, tel le Carrare. D'un dessin plus simple, les autres sont réalisées dans des pierres jurassiennes, prestigieuses cependant, comme la brocatelle de Chassal et le marbre de Pratz. Vraisemblablement issues de la marbrerie de Molinges, toutes témoignent de la production industrielle locale.
Le grand salon
Largement ouvert sur la rue, le grand salon, pièce la plus vaste de l’appartement, fait office de salle de réception et possède la décoration la plus complète.Le parquet présente en son centre une belle rosace en marqueterie. Restaurée en 1998 par un menuisier de Choux (Jura), Serge Blanc-Potard, elle est composée de 12 bois différents : sycomore roncé et sycomore ondé, chêne vert noir, plane rouge et plane rouge choux, pommier, chêne, if, buis, acacia, orme noir, frêne olivier et noyer. Un décor végétal doré surmonte chacune des trois portes.Par ailleurs, le grand salon compte deux cheminées en marbre blanc de Carrare, l’utilisation du marbre jurassien se limitant aux plaques au sol. Il est à noter que les côtés de ces mêmes cheminées ne sont pas eux aussi en Carrare mais formés d’un placage de bois peint à l’imitation de ce marbre.
Deux tableaux de Challié
Malgré ses débuts dans l’atelier du très académique Jean-Léon Gérôme, le peintre Jean Challié (1880-1943), de son vrai nom Jean-Laurent Buffet, s’affirme, grâce à la fréquentation des artistes parisiens du début du XXe siècle, comme un artiste connaissant les différents courants artistiques de son époque. Débutée sous le signe du post-impressionnisme, en compagnie de Francis Picabia, sa carrière est vite influencée par le fauvisme. Sa peinture se situe cependant dans un cadre intimiste et régionaliste, essentiellement dans son village d’Etival, près de Saint-Claude.Deux de ses tableaux sont accrochés sur le palier de l'escalier principal, à l'étage. Peints dans cette veine régionaliste, ils expriment parfaitement l’aspect coloriste de l’œuvre de Challié. Chacun figure, dans un paysage typiquement jurassien, le débardage des grumes sur la route de Prénovel. Les scènes représentées le sont à des heures différentes du jour et le peintre s’est particulièrement attaché à reproduire les variations du paysage hivernal, où la neige n’est jamais blanche mais vibre et reflète la lumière qu’elle reçoit. Ces deux tableaux ont été acquis par le département du Jura en 1925.La première des quatre pendules représentées page suivante a un cadran signé LEVOL A PARIS. En métal doré, elle est ornée de la représentation d’un pape non identifié, peut-être Pie VII. Les deux suivantes sont l’une en marbre blanc, l’autre - dans le style Louis XV - en porcelaine. La quatrième, en bronze, est agrémentée de la statuette d’un philosophe antique. Leur mouvement est signé : FARRET A PARIS (horloger en activité de 1840 à 1870). Les trois dernières portent le poinçon : MEDAILLE D’ARGENT, Vincent et Cie.
La sous-préfecture aujourd’hui, recomposition d’un lien social
Cet itinéraire dans le temps, de la maison de l’infirmier à nos jours, offre une occasion de redéfinir le lien existant entre la sous-préfecture et la société civile, peu familiarisée avec ce service public. Après l’étude du lieu, la mise en forme des connaissances nouvelles qui en découlent nous permet désormais de partager ce savoir et d’ouvrir les portes de cette petite sous-préfecture afin de recomposer ce lien social, gage de proximité.
Les occupants du bâtiment (infirmiers, évêques, sous-préfets)
Les infirmiers
(liste partielle établie à partir des sources d’archives du fonds de l’abbaye de Saint-Claude)
Avant 1283 : Guillaume de Corent - 1283-1294 : Frédéric - 1305 : Nicolas - 1320 : Jean des Echelles - 1395-1400 : Vaucher des Echelles - 1400 : Nicolas des Echelles - 1424-1436 : Pierre Morel - 1445-1447 : Etienne Chaussin - 1447 : Jean de Chaussin - 1476-1494 : Pierre d’Echallon - 1500-1502 : Henry d’Echallon - 1515-1540 : Jean de Marlia - 1541-1552 : François d’Igny - 1562-1573 : Claude d’Igny - 1589-1593 : Claude de Saint-Mauris - 1602-1607 : Antoine de Senailly - 1613-1632 : Africain de Croysier - Administrateurs des revenus de l’infirmier pendant l’absence d’Africain de Croysier : François de Chissey [de 1627 à 1629] - Gaspard de Pratz [de 1629 à 1632] - 1632-1659 : Gaspard de Pratz - 1663-1670 : Nicolas Graschault, dit de Rancour - 1685-1691 : Jean François de Marnix, dit de Pymorin - 1703-1731 : Jean François de Marnix, dit de Chaussin - 1735-1754 : Léon Aristide de Raincourt
Les évêques
(de la création du diocèse de Saint-Claude en 1742 à la réaffectation du bâtiment en 1907)
1742-1785 : Joseph de Méallet de Fargues (1708-1785) - 1785-1801 : Jean Baptiste de Chabot (1740-1819) - François Xavier Moïse (1742-1813) - [évêque constitutionnel] - 1800-1823 : suppression temporaire du diocèse - 1823-1851 : Antoine Jacques de Chamon (1767-1851) - 1851-1858 : Jean Pierre Mabile (1800-1858) - 1858-1862 : Jean Charles Fillon (1817-1862) - 1862-1880 : Louis Anne Nogret (1798-1884) - 1880-1898 : Joseph César Marpot (1827-1898) - 1898-1925 : François Alexandre Maillet (1854-1925)
Les sous-préfets
(depuis la réaffectation du bâtiment en 1907)
1906-1910 : Louis Amédée Ferdinand Bressot - 1910-1914 : Icard - 1914-1920 : Duran - 1920-1923 : Sarraute - 1923-1924 : Auguste Pierangeli - Sept.-oct. 1924 : Mangin - 1924-1932 : Joseph Louis Jean Danteroche - 1932 : Planacassagne - Déc. 1932-1935 : Joseph Picharnaud - 1935-1941 : René Goepfert - 1941 : Raoul Hoff - 1941-1943 : Albert Gilles - 1943-1944 : Pierre André Cirier - 1944-1946 : Joannès Chambon - 1946-1950 : Pierre Hay - 1950-1951 : Armand Eugène Edouard Berthet - 1951-1954 : Roland Faugère - Nov. 1954-1959 : Christian Louis Leroy - 1959-1961 : Jacques Jean Marie Robert Monestier - 1961-1964 : Charles Donius - 1964-1969 : Charles Herbert - 1969-1970 : Olivier Brun - 1970-1973 : Christian Marie Joseph Dufour - 1973-1974 : Jacques Isnardi - 1974-1977 : Jean Robert Poullard - 1977-1979 : Jean Roger Vignaud - 1979-août 1982 : : Georges Paul Marcel Michaud - Oct. 1982-jan. 1984 : Jean-François Pagès - Fév. 1984-juin 1986 : Georges Girodet - Sept 1986-juin 1987 : Jean-Claude Goldenberg - Déc. 1987-jan. 1989 : Jean-Yves Caullet - Avril 1989-juil. 1991 : Jean-Michel Lair - Août 1991-juin 1992 : Pierre Serniclay - Juin 1992-juin 1994 : Christian Millet - Juil. 1994-sept. 1996 : Jacques Michelot - Oct. 1996-juil. 1999 : Franca Dohet - Déc. 1999... : Jean-Marie Nicolas

Sources et bibliographie
Archives départementales du Jura : 2 H (fonds de l'abbaye de Saint-Claude)
Archives municipales de Saint-Claude
Benoît, dom P. Histoire de l’abbaye et de la terre de Saint-Claude. Montreuil-sur-Mer : Impr. de la chartreuse de Notre-Dame des Prés, 1890-1892. 2 volumes.
Davril,dom A., Palazzo, E. La vie des moines au temps des grandes abbayes. Paris : Hachette, 2000. (La vie quotidienne)
Martine (F.). Vie des Pères du Jura. Paris : Cerf, 1968. (Sources chrétiennes)
Aire d’étude et canton : Saint-Claude centre et faubourg
Dénomination : infirmerie, maison, évêché, sous-préfecture
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