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MAISON ET ATELIER D'HORLOGERIE D'HENRI LEISER PUIS DES ETS FAIVRE-PIERRET FRÈRES

25 - Morteau

5, 7 rue Fauche

  • Dossier IA25001771 réalisé en 2013 revu en 2018
  • Auteur(s) : Laurent Poupard
Façades antérieure et latérale droite. © Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine

Historique


La maison est bâtie en 1868 pour Sylvain Balanche puis elle passe vers 1872 à François Ferdinand Balanche, de La Chaux-de-Fonds (Suisse), et vers 1879 à la veuve du maréchal-ferrant Charles Dornier. Cette dernière l'agrandit en 1885 et vers 1904 (?). Le bâtiment est acquis vers 1917 par l'horloger rhabilleur Henri Leiser (1883-1924), fils d'Alfred Leiser (1851-1902), également horloger au n° 12, et beau-frère de Camille Mercier, industriel horloger rue de l'Helvétie. Henri, qui a son atelier au deuxième étage, décède jeune et sa veuve, née Jeanne Rognon (1882-1958), loue par la suite le local aux Faivre-Pierret, qui viennent en 1937 de s'associer au sein des Ets Faivre-Pierret Frères. Alfred (1896-1962) et Raymond (1902-1986) Faivre-Pierret fabriquent des montres sous la marque Far (Faivre Alfred et Raymond), déposée le 30 août 1937. Formé à partir de 1914 par M Vuillin, horloger rue de la Chaussée, Raymond s'était installé à son compte en 1927 "dans une petite chambre transformée en atelier au 1 rue de la Louhière", dans un immeuble (cadastré 2018 AC 85) dans lequel un de ses frères avait un magasin de vêtements. Raymond et Alfred transportent après la deuxième guerre mondiale (vers 1947 ?) leur affaire rue Fauche, "l'ancien propriétaire trouvant qu'il y avait trop d'allées et venues, et que cela salissait les couloirs et les escaliers !" Raymond s'occupe de la fabrication et Alfred de la partie administrative. Tous deux sont rejoints en 1957 par Jean-Claude, le fils de Raymond, l'affaire employant également des travailleurs à domicile (une dizaine au maximum). Raymond poursuit son activité après le décès d'Alfred en 1962 mais il s'installe (en 1963 ? après 1965 ?) aux 14 et 14 bis Grande Rue (alors n° 8). A la mort de la veuve d'Henri en 1958, la maison avait été vendue au chirurgien-dentiste René Vuillet A Ciles, établi au 1 rue de la Chaussée. Ce dernier fait aussitôt agrandir et rehausser l'appentis accolé à l'ouest pour y transférer son cabinet. Le bâtiment n'abrite dès lors plus d'activité productive (il a un temps hébergé au rez-de-chaussée un petit magasin d'articles de sport).
Période(s)
Date(s)
1868 : daté par source

Description


La maison a des murs en moellons calcaires enduits et un toit à longs pans, pignons couverts et tuiles mécaniques. Elle comporte deux étages carrés et un comble à surcroît, desservis par un escalier dans-oeuvre. Les baies du rez-de-chaussée signalent la présence d'une ancienne boutique ou d'un ancien atelier. Elle se prolonge à l'ouest par un corps peut-être réalisé en béton et protégé par un toit à un pan en tôle. Le rez-de-chaussée (en fait un étage de soubassement) accueille des garages et les deux étages carrés, éclairés par de larges fenêtres, des logements.
Toit :
  • tuile mécanique
  • tôle galvanisée
Etages :
  • 2 étages carrés
  • comble à surcroît
Elévation :
  • élévation à travées
Escalier :
  • escalier dans-oeuvre

Source(s) documentaire(s)

  • 3 P 412 Cadastre de la commune de Morteau, 1816-1978
    3 P 412 Cadastre de la commune de Morteau, 1816-1978- 3 P 412 : Atlas parcellaire (11 feuilles), dessin (plume, lavis), par les géomètres du cadastre Girardier et Mestre, 1816-1817- 3 P 412/1 : Registre des états de sections, 1818- 3 P 412/4-5 : Matrice cadastrale des propriétés bâties et non bâties, 1823-1875. Le 1er volume manque.- 3 P 412/2-3 : Matrice cadastrale des propriétés bâties et non bâties, 1876-1914- 3 P 412/6 : Matrice cadastrale des propriétés bâties, 1882-1910- 3 P 412/7-9 : Matrice cadastrale des propriétés non bâties, 1911-1965- 3 P 412/10-13 : Matrice cadastrale des propriétés bâties, 1911-1978
    Lieu de conservation : Archives départementales du Doubs, Besançon - Cote du document : 3 P 412
  • Papiers à en-tête d'Henri Leiser, décennies 1910-1920
    Papiers à en-tête d'Henri Leiser, décennies 1910-1920
    Lieu de conservation : Collection particulière : Henri Leiser, Morteau
  • Prises de vues aériennes de l'IGN (20e siècle)
    Prises de vues aériennes de l'IGN (20e siècle). Consultables en ligne via le site du Géoportail (www.geoportail.gouv.fr)
  • Guichard, Jean-Marie. Recherches généalogiques
    Guichard, Jean-Marie. Recherches généalogiques. Accessibles en ligne sur le site de Geneanet : http://gw.geneanet.org/
  • Les établissements horlogers en France, mars 1965
    Les établissements horlogers en France. - S.l. : s.n., mars 1965. 17 p. ronéotypées ; 20 cm.
    Lieu de conservation : Collection particulière : Michel Simonin, Maîche
  • Faivre-Pierret, Xavier. La fabrique des montres FAR des frères Faivre-Pierret, fin 20e siècle
    Faivre-Pierret, Xavier. La fabrique des montres FAR des frères Faivre-Pierret. - S.d. [fin 20e siècle].
  • Leiser, Henri. Elise Leiser ou une histoire peu banale, 2018
    Leiser, Henri. Elise Leiser ou une histoire peu banale. - 2018. [30] p. : ill. ; 30 cm.
    Lieu de conservation : Collection particulière : Henri Leiser, Morteau
  • Bonnet Henri (témoignage oral)
    Bonnet Henri, ancien dirigeant de la fabrique d'horlogerie Bonnet, à Morteau. Fournet-Luisans
  • Mmes Dromard et Taillard (témoignage oral)
    Mmes Dromard et Taillard, filles de Raymond Faivre-Pierret. Villers-le-Lac
  • Leiser Henri (témoignage oral)
    Leiser Henri, fils d'André Leiser et historien du val de Morteau. Morteau

Informations complémentaires


Extrait d'un dossier rédigé en 1993 par Jacques Dromard, petit-fils de l'horloger Raymond Faivre-Pierret. (Collection particulière : Jacques Dromard, Villers-le-Lac).


Je vous propose, ici, de vous plonger dans l'atmosphère particulière d'un atelier « d'antan ».

Aux antipodes de l'atelier de fabrication moderne, le lieu de travail de mon grand-père ne se composait que d'une seule pièce. Pièce bien chauffée à l'aide d'un fourneau à charbon, car il faut de la chaleur pour maintenir l'agilité des doigts de l'horloger. Ici, il n'y avait pas de mobilier de style ! Tout se résumait à une stricte fonctionnalité. Quelle différence avec aujourd'hui où l'on reçoit les clients dans des bureaux-salons avec de beaux meubles.
Cette pièce était bien éclairée puisqu'elle possédait 3 fenêtres. Devant l'une des fenêtres, qui n'était pas garnie de rideaux, était installé l'établi de mon grand-père : une simple planche reposant sur deux « layettes ». Sur chaque tiroir de layette, on pouvait lire : ébauches Parrenin, ébauches Cupillard, verres, cadrans, aiguilles, boîtes, bracelets, montres à réparer... Sur cet établi, il y avait une plaque de couleur verte (le vert étant une couleur qui repose la vue), un quinquet. Les outils étaient éparpillés : brucelles, tournevis, pinces à couper, étau, pique-huile, potence, tour d'horloger, huilier, lampe à alcool... Un étau, fixé à l'établi, servait de support pour le limage des pièces. Une grosse montre de poche était omniprésente sur l'établi : elle servait à mettre les montres à l'heure, avec précision.
En face de l'établi, sur le côté gauche de la pièce, une table servait aux expéditions : on y trouvait du papier d'emballage, de la ficelle, de la cire à cacheter (pour les envois en valeur déclarée) ainsi qu'un tampon aux initiales RF.
En outres, éparpillés dans tous les coins de la pièce, on apercevait des cartons bleus-verts avec, à l'intérieur, des petits compartiments où l'on déposait les mouvements. Dans les rues, on voyait souvent des écoliers qui portaient, en dehors des heures de classe, ces cartons, soit de l'atelier au domicile de celui qui posait les cadrans et les aiguilles, soit du domicile à l'atelier. Il s'agissait bien souvent des enfants Faivre-Pierret !
Au centre de la pièce se trouvait un bureau en bois sur lequel étaient déposés les livres de comptes (dépenses, recettes), le livre de caisse, les documents divers... et La France horlogère. Dans les casiers latéraux, on pouvait trouver le papier à entête de la société, les carnets de fiches de paie et différentes pièces comptables. A droite du bureau, une machine à écrire, de marque Remington, était posée sur une petite table rustique. Elle était noire avec des touches blanches, et aurait, déjà à l'époque, satisfait aussi bien un collectionneur qu'une dactylo !
Dans un coin de la pièce se trouvait un coffre-fort acheté d'occasion à un fabricant de Pontarlier, dans lequel on stockait les montres de valeur (en or), les papiers importants comme le dépôt de la marque Far ou l'inscription au registre de commerce et, évidemment, les carnets de chèques postaux ou bancaires ainsi que les espèces.
Je n'oublierai pas de vous parler du magnifique régulateur. Il était installé contre le mur, vers le meuble qui servait aux expéditions. Mon grand-père s'en servait pour régler, avec plus de précision, la marche de ses montres, depuis qu'un de ses clients l'avait laissé en guise de paiement. Et oui ! Le Vibrograf a fait son apparition beaucoup plus tard et c'était une révolution dans la mise à l'heure ! Ce régulateur existe toujours, en 1998. J'en ai provisoirement la garde !
L'atmosphère de cette pièce nous semble, aujourd'hui, un peu désuète par rapport aux ateliers contemporains. Il n'y a pas, à proprement parler, de mobilier décoratif, mais chaque meuble remplit une fonction donnée. L'esthétique semble donc être absente de ce décor pourtant chaleureux, mais sans atouts stylistiques particuliers.

Mon grand-père était assis sur un tabouret devant l'établi, et portait une grande blouse grise ! Pourquoi grise ? Est-ce parce que le blanc était trop salissant, et qu'il n'y avait pas de machine à laver à l'époque ? Il portait à son œil gauche, sous son épais sourcil, un « micros » qui lui permettait de distinguer les minuscules pièces qui composent une montre. Le front penché, le « micros » à l'oeil, des outils délicats, des gestes menus, c'était la vie de mon grand-père !
La minutie de Raymond, dans son travail, était remarquable. Il n'hésitait pas à voir, revoir, écouter ses pièces. Il y avait, chez lui, un amour pour le travail bien fait. Mon grand-père, penché sur son établi, sur ses ébauches, regardait avec minutie, et écoutait si le tic-tac était bon. Non satisfait, il reposait l'ébauche ; des brucelles à la main, il observait, posait la pièce, remettait de l'ordre dans les rouages, et de nouveau écoutait la pièce (son seul moyen de contrôle).
Peu à peu, l'entreprise Faivre-Pierret Frères fut connue : connue des bons comme des mauvais payeurs ! Les voyageurs passaient ; il s'agissait de grossistes en horlogerie, c'est-à-dire les intermédiaires entre le fabricant et le détaillant qui tenait une boutique. La vie suivait son cours... On attendait les clients... C'est à cette époque que la montre gousset laisse place à la montre-bracelet. Une aubaine pour Raymond puisque toutes les jeunes filles de l'époque en désiraient une.
La fabrication devenait de plus en plus importante, et c'est alors que l'entreprise embaucha des ouvriers qui travaillaient principalement à domicile. Leur tâche consistait soit au montage, soit à l'emboîtage des calibres 5 1/4 et 5 1/2 dames, et des calibres 233 et P 62 hommes. Au besoin, mon grand-père faisait appel aux régleuses : déjà à cette époque, elles n'étaient pas nombreuses ; ce métier demande, en effet, un long apprentissage : un métier délicat donc, mais bien rémunéré. Dans tous les cas, mon grand-père exigeait que le travail soit de qualité. Ainsi, il contrôlait toutes les pièces afin qu'elles soient impeccables. Chaque jour, y compris le dimanche, les « lanterniers » passaient remonter les mécanismes et régler leur marche. En effet, chaque montre était mise en observation (la lanterne) pendant au moins 3 jours, dans différentes positions.
Lorsqu'un calibre manquait, il voyait un ami qui lui prêtait le modèle ; c'était la bonne entente entre petits fabricants. Des petits fabricants qui se spécialisaient : soit dans la fabrication de chronographes, soit dans la fabrication de pièces plus ordinaires. Des fabricants de boîtes de montres-bracelets arrivèrent de Damprichard (Burdet), de Charmauvillers (Nappez)... avec des modèles très variés. Avec les conseils de quelques amis, l'entreprise fonctionnait assez bien ; mais il fallait éviter de faire des dépenses trop conséquentes. Un jour, la fantaisie lui prit d'acheter quelques boîtes or 18 carats. Dans celles-ci, il fallait des ébauches suisses (de Fontainemelon) ; à l'époque, ces ébauches étaient, paraît-il, meilleures que les françaises. Des clients de Lille, Brest, Briançon, Rouen en étaient friands. Il y avait donc là un bon marché à exploiter.

En général, les acheteurs devenaient des amis, et Raymond leur offrait le repas à la Guimbarde : restaurant situé au bas de la grande rue à Morteau. On y regardait alors les nouveaux modèles, la boîte surtout, car le mouvement était toujours impeccable. Les montres étaient déposées sur des présentoirs en velours bleu afin de les présenter aux clients, et chacun pouvait ainsi choisir. Tous disaient : « je suis sûr de ne pas avoir d'ennuis, et si, par hasard, j'ai une pièce défectueuse, je dispose de la garantie pour sa remise en état ». Parfois, les clients et amis se voyaient confier des montres. Si la collection ne plaisait pas à leurs clients, ils venaient, tout naturellement, la rendre à mon grand-père ! Certains clients voulaient à tout prix que les cadrans soient marqués à leur marque ; Raymond les identifiait donc avec des noms de marque tels que : Jupiter, Poisson, Sag, Sekou, Cazal, Simber, Augis... Mais certaines montres restaient encore anonymes, et plusieurs grossistes voulaient une marque. Voilà pourquoi mon grand-père créa la marque FAR. Dorénavant, toutes les pièces étaient marquées pour le bonheur des grossistes et des bijoutiers.
Au fil des années, une demande de montres plus ordinaires se fit sentir ; celles-ci étaient vendues surtout en Algérie. Les commandes étaient très irrégulières. Un jour, il ne fallait rien, et le lendemain il fallait 500 pièces ; alors les ouvriers et Raymond passaient la nuit à travailler pour satisfaire le client. Les prix étaient tirés, mais la vente était bien là.
En plus de la fabrication et de la vente, il faisait aussi des rhabillages comme tous les fabricants de l'époque. S'il y avait une panne, on amenait la montre chez mon grand-père qui effectuait la réparation pour une somme modique. On demandait tout à Raymond : vérifier le mouvement (les pivots de balancier étaient souvent cassés faute de système antichoc), changer la boîte ancienne, changer les aiguilles, la couronne, changer un verre brisé, une boîte rouillée atteinte par l'eau, un cuir contre un bracelet métal. Mon grand-père allait chercher des pièces de rechange chez Mademoiselle Roussel (ancêtre des Etablissements Schwartzmann).

Mon grand-père était un artisan horloger !
Thématiques :
  • patrimoine industriel du Doubs
Aire d’étude et canton : Pays horloger (le)
Complément de localisation :
  • anciennement région de Franche-Comté
Dénomination : maison, atelier
Parties constituantes non étudiées :
  • atelier de fabrication
  • boutique
  • logement
  • garage
  • jardin potager
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